Dans l’ombre d’un empire cosmétique mondial, une héritière vit recluse entre ses souvenirs et ses conseillers. Inspiré librement de l’affaire Bettencourt, Thierry Klifa construit un drame sur les liens du sang, le poids de l’argent et la fragilité du pouvoir. À travers la rencontre entre une femme vieillissante et un photographe bohème, le film explore la fissure derrière la façade : celle d’une âme enfermée dans un monde doré, incapable d’aimer autrement que par le don.
Un conte cruel sur la richesse et l’isolement
Isabelle Huppert incarne une femme qui a tout — sauf la liberté. Autour d’elle, un clan : financiers, héritiers, domestiques, tous orbitant autour de sa fortune comme des satellites dociles ou prédateurs. Le film pose la question centrale : Que reste-t-il d’humain quand tout se monnaye ? Ozon (L’Amant double) aurait filmé le trouble psychologique. Klifa, lui, choisit la distance, la froideur, le théâtre social. Chaque plan est cadré comme un portrait figé : table de réunion, jardin désert, villa aseptisée. Un monde où l’émotion est un luxe inutile.
Analyse : satire, héritage et solitude
Sous ses airs de comédie mondaine, le film cache une métaphore sociale : celle d’un monde qui a tout sauf l’essentiel. L’argent, ici, devient une prison :
- Prison affective : la protagoniste n’aime qu’en donnant.
- Prison symbolique : chaque geste est scruté, chaque mot est enregistré.
- Prison morale : même la bonté devient suspecte.
À ce niveau de fortune, chaque sourire coûte, chaque silence se paie. La relation avec le photographe — entre fascination et manipulation — incarne cette ambiguïté : qui exploite qui ? Celui qui possède ou celui qui charme ?
Interprétations
Isabelle Huppert L’héritière Impériale, glaciale, bouleversante dans ses failles
Laurent Lafitte Le photographe Charme trouble, opportuniste et sincère à la fois
Marina Foïs La fille Fille blessée, lucide et impuissante, d’une justesse rare
Raphaël Personnaz Le majordome moderne, victime d’un système ancien
Huppert retrouve ici le ton des grandes reines tragiques : une Médée en tailleur Dior.
Lecture symbolique
La Femme la plus riche du monde parle moins de finance que de filialité. Derrière la fortune, il y a la mère et la fille, un lien interrompu. Deux femmes, deux solitudes, deux façons d’aimer : l’une à travers le contrôle, l’autre à travers la fuite. La succession devient un champ de bataille, un rite de transmission brisé. Et le film, sous ses dorures, devient une élégie sur le besoin d’amour dans un monde saturé de possession.
« L’argent n’achète pas le bonheur, mais il peut ruiner l’amour. »
Mise en scène
- Décors confinés (villa, salle de conseil, bureau vitré) : luxe comme enfermement
- Couleurs ocres et dorées : chaleur trompeuse, froideur morale
- Musique discrète, presque absente : le silence des palais
Thierry Klifa signe un film d’orfèvre, entre satire à la Chabrol et drame psychologique feutré.
Thèmes clés
- Héritage et rivalités familiales
- Isolement des ultra-riches
- Illusion de la générosité
- Hypocrisie sociale
- Amour et pouvoir
- Le poids de la fortune
- La filiation et la trahison familiale
- L’illusion du pouvoir
- La manipulation affective
- La solitude sous les projecteurs
Être riche, c’est ne plus rien devoir à personne.
Être seule, c’est n’avoir plus personne à qui donner.
Un film à voir pour :
- Son interprétation magistrale d’Isabelle Huppert
- Son regard lucide sur le pouvoir féminin et ses prisons
- Son équilibre entre satire et tragédie intime
- Sa relecture sensible d’une affaire d’État devenue drame humain
Note : 8,7/10
Un drame élégant, cruel et profondément humain.
Derrière la façade du luxe et du pouvoir, Klifa filme le vertige du vide. Son héroïne n’est pas une milliardaire caricaturale : c’est une femme qui a tout gagné… sauf la paix.
La richesse absolue n’est pas d’avoir, mais d’être encore capable d’aimer.




